De la fantaisie à plume dans un monde de brut
SOPHIE MICHEL
Le champagne de Madame Raymonde a l’élégance excentrique et l’autruche est son totem. Il est à l’image de sa créatrice, la vigneronne Sophie Michel, qui aime cultiver son brin d’impertinence. Mais derrière le plumage festif de ses cuvées, cette prof de maths de formation et ancienne circassienne est une vraie amoureuse du champagne et de ses coteaux vitryats d’enfance qu’elle aime entendre pétiller plus haut que leur cru.
Pourquoi l’autruche ? Parce que Madame Raymonde est un champagne qui émeu (t). » On l’aura compris Sophie Michel est une adepte des jeux de mots improbables, et cela donne un petit coup de plumeau dans les codes un peu figés du roi des vins.
Rien ne prédestinait vraiment la jeune femme à élaborer un champagne et dépenser autant d’énergie à le faire connaître. Fille aînée d’une famille d’agris-vitis installée à Saint-Lumier-en-Champagne, à quelques encablures de Vitry-le-François, la jeune Sophie a un penchant pour la science et la gymnastique acrobatique. « Dans les années 70, les filles, ce n’était pas fait pour la terre. On faisait des études et les garçons devaient reprendre la ferme », explique-t-elle.
Maths sup à Reims, puis école d’ingénieurs en hydraulique à Grenoble, Sophie trouve son premier travail à Tours. Là, dans les années 90, ses pas croisent ceux d’un artiste de la Compagnie Off et elle décide de se lancer dans le théâtre de rue. « On s’est mariés, acheté un chapiteau et fondé notre propre structure :
la compagnie Casse-Pipe. C’était mon côté pétillant et festif qui prenait le dessus, alors j’ai passé le Capes de maths, et pendant des années j’ai alterné enseignement et spectacles, souvent perchée sur un trapèze. Mais je gardais toujours un attachement profond à la Champagne. »
La tête dans le terroir
Entre-temps, le domaine familial s’est bien transformé. À l’aube du XXIe siècle, son jeune frère Mathieu rejoint l’exploitation comme viticulteur. Initialement, les parents Gérard et Marie-Claude Michel étaient éleveurs et céréaliers, mais la réhabilitation de la zone viticole dans cette partie orientale de la Champagne leur a permis de planter 4,5 hectares de vigne et de fournir en raisin la coopérative La Renaissance à Bassuet. C’était en 1975, et Sophie avait 7 ans.
« En 2007, mes parents ont pris leur re- traite et je me alors suis associée à Mathieu pour conserver nos terres et nos vignes. Puis s’est posée la question de ce que je pouvais apporter à notre exploitation alors que je n’avais pas de compétences techniques en viticulture. Mon parcours dans le spectacle festif pouvait peut-être rejoindre le monde du champagne. Ainsi est née l’idée de créer une marque en tant que RC. »
Mais comment se distinguer au milieu d’une telle diversité de champagnes de vignerons ? Pas trop le genre de Sophie de donner dans le baroque ou le doré trop convenus, c’est l’humour parodique et le souvenir du caractère bien trempé de sa grand-mère Raymonde qui vont s’imposer.
Le slogan est venu vite : « Madame Raymonde, le champagne qui pétille plus haut que son cru ». « Outre le calembour, cela représente bien les coteaux du Vitryat, trop longtemps ignorés, et maintenait reconnus pour ses chardonnays », souligne la vigneronne.
Quant à l’autruche qui illustre chaque cuvée : « Un drôle d’oiseau exotique qui ne sait pas voler, une tête comique et des plumes qui évoquent le spectacle… Et puis dans le Vitryat, on est restés longtemps la tête dans notre terroir », s’amuse-elle.
C’est une agence de communication de Tours qui finalise les éléments visuels et textuels. « L’intérêt de solliciter des professionnels en dehors de la Champagne a permis de poser un regard non stéréotypé sur le produit. Je voulais un côté humoristique, décalé et un peu vintage, mais il fallait garder de l’élégance : nous produisons quand même du champagne ! »
Et en l’occurrence, dans ces flacons pour le moins atypiques, se trouvent des vins de haute tenue. « J’ai pris des cours de dégustation au SGV avec Geoffrey Orban, et il m’a vraiment rassurée sur la qualité des cuvées. À la coopérative de Bassuet, on produit de belles bulles ! Puis j’ai déposé à la Champagnothèque, ce qui m’a permis de présenter mes vins à la presse lors d’une dégustation parisienne organisée par Champagne de Vignerons. »
Reste maintenant à commercialiser quelque 3 000 bouteilles par an en trouvant les bons circuits de distribution pour des cuvées qui séduisent une clientèle assez branchée et urbaine, réfléchir à l’export, repartir après la crise Covid…
« Il faut vraiment que ça m’amuse, parce qu’en fait cela prend beaucoup d’énergie et globalement on gagnerait très bien notre vie en ne vendant que le raisin, mais c’est la magie du champagne. »
© Alain Julien