Assemblage de talents au Champagne Pierre Gimonnet & Fils
Pierre a ouvert la voie de la manipulation, son fils Michel a impulsé le style des vinifications, puis les petits-enfants Didier et Olivier ont défini une charte qualitative intransigeante, créé de nouvelles cuvées et fait connaître les champagnes Gimonnet dans le monde entier. Alors qu’Arnaud et Pierre-Guillaume reviennent dans le giron familial pour prendre les rênes en apportant leur regard, l’histoire de ce domaine de Cuis rappelle l’importance du dialogue intergénérationnel dans la transmission du savoir-faire vigneron.
Créateurs de champagnes depuis 1925, les Gimonnet ont exercé très tôt leur activité de récoltants-manipulants « dans le but de s’affranchir du négoce », se rappelle Didier Gimonnet, membre de la troisième génération aux manettes du domaine familial. Les racines de leur arbre généalogique, remontant jusqu’à 1615, évoquent des « laboureurs, métayers, paysans et vignerons » dans le village de Cuis, dans la Côte des Blancs.
Didier et son frère Olivier perpétuent l’esprit d’entreprise initié par leur grand-père Pierre, après que leur père Michel leur a donné carte blanche. Leurs enfants respectifs, Arnaud et Pierre-Guillaume, sont à présent revenus à leurs côtés pour poursuivre l’histoire d’un domaine que tous se plaisent à qualifier « d’historique, d’atypique et de précurseur »
Un vignoble familial estampillé Côte des Blancs
C’est bien la transmission et le sens de la famille qui semblent guider les grandes décisions prises au Champagne Pierre Gimonnet & Fils. Dont la volonté de ne pas découper le vignoble maison : le patrimoine parcellaire, fruit d’une extension maîtrisée et progressive, rassemble à ce jour 30 ha de vignes situées presque exclusivement dans la Côte des Blancs. Cinq crus composent la palette des champagnes Pierre Gimonnet & Fils : Cramant, Chouilly, Oger pour les Grands Crus. Cuis et Vertus pour les Premiers Crus.
Ce sens de la famille véhicule une tradition de respect envers la génération précédente, car « chacun apporte une idée nouvelle, avec la fierté de ce qu’ont réalisé les prédécesseurs », témoignent de concert Didier et Pierre-Guillaume Gimonnet.
Un esprit pragmatique prédominait chez le grand-père Pierre : « Il vendait ses bouteilles jusqu’à la dernière, car la période n’était pas facile. » C’est pourquoi l’œnothèque des Gimonnet remonte « seulement » au milieu des années 1950. Un regret quand on connaît le potentiel de vieillissement des Chardonnays de la Côte des Blancs. Fort heureusement, on profite encore des jus issus de Chardonnays de Cramant plantés en 1911 , des sélections massales particulièrement soignées et encore vaillantes après une vendange 2022 qui aurait pu se montrer éprouvante pour la santé du végétal.
« Si la vinification n’était pas la plus grande passion de mon aïeul, concède Didier Gimonnet, il a eu cette audace qui nous a permis d’être ici aujourd’hui. » La génération suivante, sous l’égide de Michel, a « développé un style de vins plus minéral et pur, car il a compris l’identité des grands terroirs et l’influence des lieux-dits à travers l’utilisation de contenants neutres. » La viticulture de survie n’est plus de mise à l’approche des sixties : il s’agissait désormais de « faire quelque chose de bon. »
Olivier et Didier, reprenant la main dans les années 1980, ont pu quant à eux s’appuyer sur leurs études en viticulture et en gestion pour « développer le commerce (particulièrement à l’export, NDLR) et l’aisance financière qui permettent d’investir. » C’est le nerf de la guerre de tout domaine viticole, et cela n’empêche pas pour autant « d’essayer de comprendre ce qui est important, comme le terroir, les vignes… ».
Des enjeux multiples à traduire en actes
Arnaud et Pierre-Guillaume prennent actuellement leurs marques. Le second, revenu au bercail en 2019 et suivi par son cousin cette année, n’a « aucunement envie de changer le style du domaine. » Il s’agit avant tout de traduire les enjeux environnementaux, sociétaux et technologiques dans la conduite de l’exploitation.
Tout comme les responsables actuels, ils privilégient le pragmatisme au dogme, poursuivant ensemble leurs expérimentations (travail du sol, engrais verts, amélioration de la biodiversité, essais de coteaux-champenois…).
Et puisque, selon les dires de Montaigne, les voyages forment la jeunesse, la quatrième génération accompagne ses aînés lors des salons professionnels ou lors de visites chez les distributeurs, dans le but de montrer que « le commerce, c’est entretenir des relations qui nous rendent indispensables pour notre interlocuteur », philosophe Didier Gimonnet.
Le passage de relais générationnel a nécessité un investissement dans tous les sens du terme, ce qui n’est pas vain dans un domaine vigneron disposant d’une telle force de frappe : il a fallu 18 mois et l’appui d’un consultant pour ouvrir la réflexion sur les grandes décisions à venir. Le résultat est éloquent : plutôt « préoccupé » il y a cinq ans, Didier Gimonnet est à présent un homme « apaisé » grâce à ce travail intensif.
Pour lui, la clé d’une transmission réussie reste « un bon dialogue entre les générations, pour réunir des personnalités différentes autour d’un même projet de vie », un point que tous partagent.
Blancs de blancs vignerons en tournée mondiale
Riche d’une longue histoire vigneronne et d’un approvisionnement très enviable, le Champagne Pierre Gimonnet & Fils produit 250 000 à 300 000 flacons par an, dont la réputation dépasse largement les frontières du Vieux Continent : ces blancs de blancs made in Cuis sont vendus dans plus de 40 pays à ce jour.
Malgré cette appétence internationale, pas question pour les Gimonnet de mettre tous leurs œufs dans le même panier : aucun pays ne doit représenter à lui seul plus de 15 % de leurs ventes annuelles. Le contexte actuel renforce, par ailleurs, la nécessité de s’appuyer sur des allocations, qui vont concerner tous les marchés à l’export ainsi que la clientèle professionnelle en France. « Ce n’est pas la vocation de la Champagne, regrette Didier Gimonnet. Mais il faut que les commandes restent raisonnables. » Avec les quantités récoltées en 2022, les stocks devraient heureusement permettre de retrouver un peu d’oxygène vers 2024-2025.
« On observe un développement exponentiel des champagnes de vignerons depuis quatre à cinq ans, observe encore Didier Gimonnet. Si le nombre d’opérateurs augmente dans un marché, il est possible de rester une référence à condition de s’être installé tôt. » Ce qui explique, par exemple, pourquoi les petits-enfants de Pierre Gimonnet ont investi le marché américain dès 1995.
« Aujourd’hui, le vignoble n’a jamais été aussi bien valorisé, se réjouit le vigneron de Cuis. Les consommateurs acceptent de payer plus cher pour des vins de vignerons, qui sont reconnus comme des producteurs capables de proposer du rêve, et qui n’ont rien à envier au négoce. Car le consommateur a évolué, et souhaite quelque chose d’authentique, qui a une histoire à raconter. Et les amateurs qui consomment régulièrement vont vers davantage d’élégance. »
Millésimes sans dosage depuis 1979
Dans la vaste gamme de cuvées du Champagne Pierre Gimonnet & Fils – 11 blancs de blancs et un rosé, dont 4 monocrus –, il y a peut-être un vin qui illustre leur savoir-faire. La cuvée Œnophile, toujours millésimée et jamais dosée, est élaborée depuis…1979. Voilà qui illustre ce côté « atypique et précurseur ». Le nouveau millésime 2017, année généralement qualifiée de « compliquée » et qui a nécessité un tri drastique à la récolte, montre que les Chardonnays ont su tirer leur épingle du jeu.
Même si quelques-unes des nouveautés sont des cuvées « mono-grand cru », « l’assemblage, c’est le savoir-faire de la Champagne », soutient Didier Gimonnet. Ses mots se reflètent dans la quarantaine de cuves inox (pour autant de parcelles travaillées) de 50 à 100 hl sur lesquelles s’appuie le domaine pour réaliser ses vinifications parcellaires. Didier et Pierre-Guillaume soulignent de concert : « Pour la vinification, comme pour la cuisine, la qualité des ingrédients et leur fraîcheur sont essentielles » pour conférer aux vins « pureté, élégance et précision ».
Article issu de la Champagne Viticole. Retrouvez tous leurs portraits en cliquant ici.