Arthur ou la légende du pinot vrai
Comparé aux cépages dominants, le pinot blanc vrai ne pèse pas bien lourd dans l’appellation champenoise. Autour d’une centaine d’hectares, estime-t-on. Puisant dans une longue histoire familiale qui ne s’est jamais laissée tenter par le chardonnay, Arthur Fumey qui arrive à la tête du domaine Fumey-Tassin & Marie Tassin à Celles-sur-Ource, en fait le héraut de sa gamme.
Un flamant rose flanqué au milieu de son tee-shirt, d’allure hyper décontractée, mais très pointu et pédago dès lors qu’il fallait décrire devant la presse spécialisée les deux cuvées emportées à Paris dans le cadre de la Grande dégustation 2020 du SGV, Arthur Fumey a fait sensation ce jour-là. Il faut dire qu’il présentait « Provocation rosée », un rosé de macération semi-carbonique aussi intense que gourmand.
La journaliste du Monde présente a d’ailleurs craqué pour ce vin croquant qui s’est retrouvé dans sa « Bibliothèque rose » consacrée aux champagnes de couleur. Et de préciser dans les colonnes du grand quotidien national qu’il s’agissait d’une « cuvée formidable, à dégainer avec une côte de bœuf. Si, si. »
Provocation réussie donc pour Arthur avec ce 100 % pinot noir qui a régalé les palais des journalistes. Tout autant qu’avec l’étonnant blanc de blancs « Émotion Blanche », un 100 % pinot blanc vinifié en fût de chêne, proposé en forme d’heureux contrepoint.
Tiens donc, on retrouve cette cuvée en bonne place dans le tout récent dossier de la RVF consacré aux « Promesses de l’Aube ». Au passage, le magazine affirme que le « pinot blanc contribue à l’originalité suave et exotique des vins » de la Côte des Bar.
À Paris, Arthur s’était fait volontiers le porte-parole de cuvées élaborées par sa mère Marie Tassin. Et s’il les a aussi bien mises en valeur c’est parce qu’il baigne dans ces bulles conçues « hors des sentiers battus » depuis toujours. Un peu plus tard que sa maman (lire en encadré), Arthur a su, ado, qu’il deviendrait vigneron. Très vite alors, il a pris conscience du rôle à jouer dans le respect de l’héritage légué par les aïeux en s’attachant à conjuguer la tradition avec un sens affirmé de l’innovation.
Déjà, il dit « mijoter » une nouvelle cuvée, « très représentative du terroir » qui viendra s’ajouter à celles figurant aux chapitres 1 (« Passé simple », « Passé composé » et « Futur antérieur ») et 2 (« Contrastes », « Provocation rosée » et « Émotion blanche ») de la saga Fumey-Tassin.
S’ouvrira alors le chapitre 3 ? « Nous ferons de notre mieux pour cultiver ce qui fait notre différence. Ce qui est certain, c’est qu’il faut continuer de se démarquer et que nos 83 ares de pinot blanc nous y aident. »
Le jeune vigneron mitonne en parallèle une nouveauté avec Alexandre Moutard, expert es-distillation : un tout premier Marc champenois 100 % issu de raisin pinot blanc vrai. « Nous le passerons en barrique au printemps prochain et il devrait sortir fin 2022 », avance-t-il. Côté vignes, il a (ré-) introduit de l’agroforesterie dans les parcelles du grand-père et mène « avec conviction » ses essais de couverts végétaux et de non-labour.
Tout cela ne relève pas d’un sens inné de l’improvisation. Arthur s’est formé et a accumulé des expériences avant de s’installer en 2021. Il a d’abord fait ses classes au lycée viticole d’Avize (BEP) avant de filer à Beaune pour y décrocher en 2010 son Bac Pro. Après une parenthèse « ouverture sur le monde, avec un périple en Australie », il a travaillé durant six mois comme commercial en Champagne chez Ovinalp, un champion de la fertilisation organique.
De retour dans le Barséquanais, il alterne durant plusieurs années les travaux dans les vignes et en caves au sein d’entités émanant du cercle familial. « Je suis passé par toutes les facettes du métier avant d’effectuer ma première vendange en 2019 aux côtés de maman et avec l’équipe de cueilleurs très fidèles », explique celui a accédé au statut de co-gérant de l’exploitation maternelle. Celle-ci compte dix parcelles réparties dans divers vallons, toutes situées sur le finage de Celles-sur-Ource.
Ces cinq hectares de vignes au total sont doublement certifiés HVE et Terra Vitis. Sur ce socle, en année normale, le domaine produit environ 42 000 bouteilles.
« À 85 %, notre clientèle est faite de particuliers. Les professionnels et l’export font le reste, mais nous constatons une montée intéressante des expéditions vers l’Italie. Nos autres débouchés à l’international se trouvent au Japon et au Canada. Nous essayons aussi de développer les États-Unis et le Mexique », révèle Arthur qui, en 2020 a dû remettre à plus tard une tournée de prospection en Amérique du Nord. Le Covid a certes un peu grippé la machine, mais jamais le moral. « Nous avons très vite ressenti le soutien que nous a apporté notre clientèle hexagonale après le premier confinement et notre activité, ensuite, est repartie plein pot », se félicitent Arthur et Marie.
L’expression du pinot blanc vrai maîtrisée
« Nous sommes dans un village connu pour être assez gélif. à Celles, historiquement, grâce aux anciens, le pinot blanc a conservé une place dans les bas de coteaux car son démarrage est plus tardif que les autres. Il risque moins en cas de gelées printanières. Récolté en fin de vendange, il a toutefois tendance à perdre en acidité, en longueur et c’est sans doute à cause cette fragilité qu’il a été délaissé peu à peu par les vignerons champenois. Chez nous, une évolution à la baisse de l’acidité est le signal qu’il faut récolter, même si cela peut sembler encore un peu précoce. Notre plus vieux millésime, un 2013 actuellement en vente, est le fruit de notre façon d’opérer avec beaucoup d’attention, de contrôles répétés. Avec cet assemblage de pinot noir bien structuré et de pinot blanc subtil, riche en acidité, nous obtenons un vin apprécié pour son superbe équilibre. Nos cuvées élaborées en monocépage sont elles aussi très prisées. Le pinot blanc se valorise fort bien », détaille Arthur.
Un arrière-grand-père épicier-vigneron, une maman 100 % vigneronne
Tassin (né en 1900), et de quelques autres viticulteurs. À l’époque, la vigne ne rapportait guère, aussi, en parallèle, il tenait une épicerie. En outre, il était éditeur de cartes postales… Quand il a pris sa retraite, le domaine a été partagé entre ses trois fils : Raymond, Jean-Marie et Bernard. Mon grand-père Raymond s’est marié avec Odile Gautherot, issue d’une famille de courtiers. De leur union sont nées cinq filles dont Marie, ma mère, la petite dernière. Cela explique qu’ici, quand vous tapez un buisson, il sort un certain nombre de Tassin… Je veux dire de marques portant ce patronyme », sourit Arthur en remontant l’arbre généalogique avec l’aide de sa maman. Car parfois, il l’avoue, il s’y perd un peu. Marie, toute imprégnée depuis l’enfance des sensations, des gestes et us vignerons ne s’imaginait pas faire autrement. « J’avais ce métier dans le sang », rapporte-t-elle. Mais aujourd’hui, à 58 ans, celle qui s’est installée en 1983 avec son mari Christophe Fumey, et qui a sorti son premier champagne en 1985 sous la marque Fumey-Tassin, prépare la transition en toute sérénité. « Maman, passée seule aux commandes de l’exploitation, a commencé à écrire un nouveau chapitre à partir de 2005, avec des bouteilles étiquetées à son nom, Marie Tassin », rapporte Arthur. L’horizon de la retraite étant d’ores et déjà fixé pour Marie — ce sera en 2024 -, elle sait pouvoir compter sur son grand gaillard de garçon, âgé 31 ans, et également sur sa fille Léa, 28 ans, pour prendre le relais dans de bonnes conditions. « Léa, qui travaille actuellement au sein de la coopérative Chassenay d’Arce, a un bagage dans le domaine de la communication et du marketing. Quand je quitterai mes fonctions, elle doit rejoindre notre maison. Je peux dormir tranquille, je sais qu’ils seront capables de manager l’entreprise », affirme Marie, avec un large sourire.
Article issu de la Champagne Viticole. Retrouvez tous leurs portraits en cliquant ici.